Pour un rythérature
Le monde réel et le virtuel ne seraient pas les deux lieux
différents l'un de l'autre. C'est plutôt au contraire :
on vit dans l'espace virtuel ainsi que dans le réel, comme on n'écrit
pas seulement au charbon ou à l'encre, mais au crayon, stylo et
aujourd'hui à l'ordinateur dans l'espace Internet. Il ne s'agit pas
seulement de l'outil de l'écriture, mais de l'ensemble de son environnement.
Autrement dit, l'écriture en support de papier et sa distribution
traditionnelle ont une limite pour des enjeux littéraires comme acte
de sujet. D'où la nécessité de reconnaître la
valeur de l'intersubjectivité pour établir interspatialité
entre le monde réel et le virtuel. Et cette « tendance nouvelle
» ne relève pas de la différence de la jeune et de la
vielle génération, même si tous les pouvoirs conservateurs
essaient de réduire sans cesse cette question de valeure au phénomène
de la rupture des générations. Ainsi dire « pour écrire
des poèmes je n'utilise qu'une plume et j'aime plutôt le papier
... » n'est ni noble ni innocent. C'est un geste athéorique,
qui n'est rien d'autre que «le sacré pour lui-même»
dans la littérature actuelle.
Il en va de même pour la « révolution digitale »
dont on parle beaucoup, qui se répand de plus en plus dans la
vie quotidienne. La fonction de la présentation du numéro
est déjà activée dans tous les services téléphoniques.
On ne peut pas tourner le dos à la parution de cette nouvelle
technologie devenue déjà un nouveau mode de vie, et non plus
se livrer et s'abandonner à cette mode manipulée par l'ordre
du marché et par un opérateur injuste qui modifie et efface
tout ce qui est précisément révélé.
Pourtant il ne suffit pas non plus de dire : «pourquoi tu as
caché ton numéro ? » Mais de savoir le fait que,
comme le mot digital désigne déjà le sens du doigt,
la révoultion digitale ne doit pas être traitée
seulement au niveau technologique, mais en question du sujet. Le mouvement
digital qui se déclenche dans notre société, du
monde entier, devrait donc réfléchir sur cette signification
: « indiquer
clairement avec le doigt, de l'index ». C'est sans doute une marque du sujet - déictique
- au sens de Benveniste qui est primordiale, c'est-à-dire une
continuité de la subjectivation, et non pas de la technologisation
de l'art et de la littérature pour visualiser et montrer «
des choses » dans une structure nouvelle. Confusion encore entre
la modernité et la modernisation.
L'oeuvre littéraire n'est jamais une marchandise normale dont
l'objectif final est d'avoir un grand succès dans le marché
; aucun succès commercial ne pourrait garantir une valeur de la
poésie. Ouverte vers tout le monde et visant infiniment l'Autre, la
poésie ne commence-t-elle pas d'abord comme par une lettre -
correspondance - intime et personnelle? C'est pourquoi on n'a pas besoin d'emballages
sophistiqués pour le poème. Dans ces conditions, il est
important de souligner qu'il n'y a pas de lettre sans signature ; il y
a une signature d'écrivain. Savoir
donc « comment peut-on inscrire signature dans l'espace
informatique? » serait aussi une des tâches à faire,
importantes. Toutes les décorations de l'écriture dans le
CD-Rom, même si elles sont « très jolies » avec
divers liens particuliers, sont ainsi secondaires ou inutiles dans la mesure
où elles ne sont pas dans l'acte du sujet, mais dans l'esthétique,
essentialisation maximale de la poésie. Il vaut mieux plutôt
penser au cinéma qui a vraiment besoin du travail scénographique
et d'ailleurs collectif. J'ai récemment remarqué certains
écrivains qui veulent diriger la poétique de la page vers l'industrie
multimédia, mais malheureusement celle qui n'est pas la même
que j'ai réalisée. Cet «
espace rond archétypal » qui m'évoque l'encyclopédique
ne serait jamais l'endroit où nous concevons le poème,
en revanche celui-ci n'a pas de lieu fixe. Parce qu'il est toujours
en recherche sur/vers le mur comme une vie d'aventure. Pour toujours
se renouveler dans un espace lisse de je-ici-maintenant.
C'est aussi à ce niveau que j'ai réfléchi sur une
« poétique de la page personnelle
» et commencé à travailler sur Internet il y
a déjà 3ans. Il est vrai que c'était pour une
démarche nouvelle et une reconfiguration de mon espace d'écriture
en pensant à la littérature coréenne. Là
on peut trouver une proposition définitive dont le propos constant
jusqu'à présent est le «
visage figuré » comme tentative
de la « poétique du talisman », qui ne se limite pas
seulement à une situation de la littérature coréenne,
mais ouvert pour réfléchir sur « la littérature
d'aujourd'hui » qui est, comme je l'ai accentué plusieurs
fois, devant une crise de la mondialisation qui ne veut délivrer
et circuler qu'un message universel, visage unique, image. Il est
ainsi important de réfléchir sur ces questions : visage,
visage figuré et image, et leurs postures
épistémologiques et leurs stratégies différentes.
Je sens que j'ai un devoir dans la mesure où faire connaître
et réintroduire ce concept de « visage figuré
» inconnu dans le plan occidental, n'est pas seulement le devoir
de la littérature coréenne, mais de tous ceux qui veulent
soutenir une affaire nouvelle de la littérature contemporaine.
En France, en Corée et aussi ailleurs ... .
Ainsi je veux bien souligner une préparation de l'ouverture du
« parti du rythme » qu'Henri Meschonnic a proposé,
et accentué une fois de plus dans Célébration de
la poésie, en évoquant le fait que cette position «
poétique du talisman
» se manifeste comme par visage figuré ou « rythme visage
visage rythme », je le remarque, dans le cas d'Henri Meschonnic. Il
s'agit de défendre, comme je défends « une littérature
mineure » au sens de Gilles Deleuze, le parti du rythme et ses compagnons,
et aussi ensemble une partie de la littérature coréenne du
début du 21e siècle.
Chang-kyum KIM
(
le 20 fév. 2002
)
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