Le jeu de dissemblance et sa « cruauté »



    L’idolâtrie est un piège de l’image ; l’image est un piège de l’idolâtrie, si elle n’est qu’une «fixation de l’idée » 1. Tousles problèmes religieux qui ne sont pas innocents de la folied’aujourd’hui, dite la « guerre sauvage du 21 e siècle »entre l’islam et le judéo-chrétien, ne sont pas non plusloin de cette fascination conventionnelled’une idole, de l’idolâtrie. Comme le danger d’une grammaireesthétique du « Beau idéal » ou du «Bon goût », qui néglige sans cesse une vertu dela « laïcité divine » dans notre sociétédémocratique. D’où la nécessité d’action dela dissemblance plutôt que de la ressemblance qui se répète dans l’universalisme. Ce serait une des nouvelles missions importantes de tous les artistes contemporains, y compris sans doute le jeune photographe, Julien LUTTENBACHER.
     Sedétachant très clairement de la prise traditionnellephotographique, enregistrement 2 du réel telqu’il est, son travail artistique est plutôt théâtral dans une mise en scène particulière, en réalité bien calculée, qui évoque ainsi une sorte de performancedans l’art total : l’auteur est allé voir un spectacle d’arttotal –bien sûr dans son imagination -, et a pris des photoslorsqu’il a été attiré par certaines scènesdramatiques, et ici les a au fond présentées en laissantd’autres à côté, parce que les autres prises nel’ont pas vraiment plu. Alors, est-cevrai que c’est la raison pour laquelle devant nous, ces quelques oeuvres fragmentaires isolées de la totalité d’un spectacle, sont-elles existent ? Comme si l’absence de l’intrigue était déjà bien prévue…, mais cette caractéristique serait plutôt la nature de l’art visuel en général, qui se présente donc aussi dans tous les arts plastiques.
     C’estdans cette « histoire envolée » que l’auteur photographeenvisage une mise en « espace personnifié » ainsi que « personne spatialisé » au lieu d’un portrait clichéou d’un paysage qui se termine par sa fermeture en genre. Autrementdit, chez Julien LUTTENBACHER l’espace et le sujet-objet humain nesont pas isolés l’un de l’autre, mais se manifestent ensemble ou plutôt le « personnage » en tant qu’acteur participe à l’espace inconnu déserté au moment où il dévoile son angoisse et sa nudité dans l’étrangeté elle-même sans le savoir :



                        Face à l’impasse, visage avalé au noir
                        enfoncé sur une cage, peau plastique …

                        Tête arrachée et jetée par une fenêtre
                        en dehors de la chambre O
                        porte fermée yeux creux
                        Voie ouverte X  Oui X
                        non C’est
                        oui …

                        L’impossible de voir
                        voit le regard qui ne voit rien
                        Une crane en boule dans l’air
                        où il y a « mon dieu »!

                        L’acteur monte l’escalier avec une échelle
                        y accroche son cadavre palpitant Est-ce
                        vrai que c’est un nouveau statut de Jésus ? mais on sait
                        que le sauvetage de la lumière n’existe pas

                        Les yeux ferment les jambes
                        les yeux marchent en arrière



    En ce sens le travail de la photographie de Julien LUTTENBACHER, n’est donc pas un simple reflet psychologique de son état d’âme que l’on peut appeler sans contrainte une expression dela situation autiste, fermée à l’individu psychique,en revanche il reste constamment un essai de la photographie en tantqu’art et sa quête de la représentation, dont le fondementthéâtral connote déjà sa propre «cruauté » 3.



                                    
                                                           Chang-kyum KIM  ( le 19 juin 2004)





Note : 

1 HenriMichaux, Misérable Miracle, Gallimard, 1972, p. 66.« L’image : fixation de l’idée. L’abstrait – abstrait est une manière de rester en course. »

2 Jean-Claude Lemagny,« Qu’est-ce qu’un original ? », L’ombre etle temps/Essais sur la photographie comme art, Nathan, 1992 p.117. « Ainsi toute image qui n’est pas reproduction d’une imageest une image originale, qui représente le réel parl’intermédiaire d’un système de communication qui lui est propre. S’il s’agit de photographie, de cinématographie, de prise de son, nous disons que le mode de représentation du réel est l’enregistrement. »

3 Antonin Artaud, Lethéâtre et son double, Gallimard, 1964, p.137.