Partie I
La neige, la mer et le camélia
1
La mer ouvrait tout le jour
les yeux comme une souris.
De temps à autre
la mer se levait et venait de Hanryosoudo [2]
et des feuilles frêles d’un orme frémissaient
en un corps légèrement.
Quand le soleil s’est couché
j’ai entendu la crise de larmes d’une sangsue
qui creuse
entre mes côtes et côtes.
Tombaient des pétales
rouges et rouges d’un bégonia.
D’autre part, le matin s’est réveillé à nouveau
et la mer ouvrait les yeux
comme une souris une fois encore.
Toc toc toc, tombait un grain de pomme
d’abondance dans le gouffre du ciel profond.
L'automne est parti, la mer est venue
et tombait la première neige de cette année-là
sur mes épaules qui se sont couchés.
S’entrouvrait un côté des ténèbres
et mûrissaient les fruits des camélias.
Je regardais, même pendant
que je dormais,
cette chute de neige toute blanche.
2
Tombait la neige même au mois de mars.
La neige trempait
les bourgeons des lilas et les fleurs des camélias qui fleurissaient.
Dans le vêtement de fourrure d’hiver
dont je ne me sépare pas encore
la mer du sud qui se réveille de bonne heure,
j’ai entendu, cette nuit-là, le sanglot
d’un phoque mâle avant de dormir.
La neige du mois de mars avec de gros flocons
trempait la nuque laiteuse des fleurs
des camélias qui fleurissent comme
dans un marécage profond.
3
Le mur marchait et venait vers moi.
Un vieux caroubier marchait et venait vers moi.
Quand j’ai ouvert les yeux et regardé la nuit profonde
dans la maison du missionnaire australien,
l’horloge en cuivre au mur d’un corridor
marchait et venait vers moi avec un manteau long et noir
bien que fût déjà fini l’hiver.
À côté de moi
la mer restait en sommeil.
Quand j’ai regardé la mer
elle endormait une fois encore
un petit mulet dans sa poitrine.
Pour dormir une nouvelle fois j’entrai
dans le manteau
de la nuit profonde, longue et noire.
Embrassant la mer sur mon coeur
je dormais de nouveau
avec un petit mulet
*
Dans la maison du missionnaire australien
il y avait encore, isolés,
du soleil et du vent apportés d’Australie.
Dans une trouée d’une clôture d’orangers sauvages
il y avait une kerrie fleurie en hiver.
Dans la nuit du jour de l’anniversaire de Jésus
il neigeait et
entre mes sourcils et sourcils au ciel caché
volaient des papillons.
Un et deux,
4
Il tombait de la pluie en hiver
plutôt que de la neige.
S’enfonçait la mer
et à la place où elle était
un navire de guerre jetait l’ancre.
Le palmipède que j’avais vu
en été était mort.
Il pleurait même après sa mort.
Il pleurait plus encore à voix mûrissante.
Il tombait de la pluie en hiver
plutôt que de la neige.
S’enfonçait la mer
et sur la ligne côtière sans mer
un homme venait par ici.
Il portait, dans une main, la mer morte.
5
Tombée le matin
la neige [3]de Bokdong et de Soudong
devenait deux veaux d’or
et montait au ciel puis
revenait se charger dans le char
à boeuf à roue unique de leurs pères
rayonnant des sons d’une cloche fêlée en fer
lorsque se coucha le soleil.
Tombée la nuit profonde
la neige de Bokdong et de Soudong
trempait et trempait d’une eau froide
mes paupières fermées endormies puis
partait se charger dans le char
à boeuf à roue unique de leurs pères
rayonnant des sons d’une cloche fêlée en fer
avant que ne se lève le soleil.
*
Tombait la neige.
Fripant le matin et la mer.
Se flétrissait, fleurie tôt,
une fleur du camélia.
Tombait la neige.
Assis en cercle, trois ou quatre enfants
alimentaient un feu.
Dans les nuques d’enfants et dans le feu encore
tombait la neige.
6
Sur l’ombre d’un cognassier
dans le soir tombaient lentement les rayons du soleil.
Sur une petite pente offerte
aux lumières du couchant
tombaient en couleur olive quelques grains de l’épine-vinette.
Dans l’aquarium où se reposaient les nageoires du cyprin doré
se couchait la mer immense.
VOU un coup de sirène donna deux fois
sur l’ombre d’un cognassier.
Dans le soir tombaient lentement les rayons du soleil.
Des poudres d’eau d’une fontaine, un jouet,
s’élançaient et
puis retombaient blanche.
7
Dans une cage arrivait le soir qui embaumait
même l’odeur des crottes de l’oiseau.
Les yeux de l’oiseau de montagne capturé
rêvaient un rêve.
Fruit qui mûrissant en hiver mange
de la neige dans la neige,
fruit rouge,
des fleurs de cerisier tombaient au printemps
une à une.
Tenant une hélice dans la bouche, l’enfant
courait partout sur la plage après la pluie.
À travers des broussailles vers le couchant étendu
sur des champs d’orge, chantant à voix douce
« lapin sauvage lapin oh toi ... »
disparaissait une fillette
disparaissait comme un mensonge.
8
La mer qui s’amassait dans ma paume,
c’était la nuit de la mer tout enfantine.
Un petit palmipède faisait son nid pour la première fois.
Pendant que partait le printemps et que venait l’été,
la mer qui s’agrandissait immense
me trempait jusqu’aux côtes et à la poitrine
et effaçait des taches en une bordure épaissie dans ma chair.
Lorsque je courais sur un banc de sable
trempé de mer et tout blanc,
je chantais seul
un chant joyeux, triste et lumineux.
Le jour, peut-être à la fin de l’été, j’ai vu
qu’une fleur de grand tournesol
tombait sur un endroit de la mer la plus féconde
toute agrandie et peu à peu couvrant la mer.
9
Bras et jambes arrachés, un crabe
allait dans un bourbier creusé longuement.
Dans l’ombre des fleurs de forsythia du bourbier
creusé longuement il allait drôlement .
Comme si deux yeux à porter sur le dos,
cela semblait lourd, immensément.
10
L’ange en papier argenté
pleurait : quelqu’un lui a mis
une moustache sous le nez.
Penchait un peu une épaule
à cause du poids des pleurs.
À travers l’épaule
penchée légèrement de l’ange
une vache mouchetée accouchait d’un enfant.
En accouchant de l’enfant
pleurait aussi la vache mouchetée jusqu’à l’aube.
La neige, cette année-là,
ne tombait aux alentours qu’en ce paysage.
11
Ne pleurons pas,
il tombait sur la mer des fleurs du camélia.
La mer s’est cachée en une seule fleur
et pour finir la mer
montrait sa chair au jour éclairé.
Alors que je regardais la mer toute nue,
ne pleurons pas,
il tombait sur la mer des fleurs de camélia
au fond du ciel profond de la neige bleue
qui n’est ni d’hiver ni du printemps.
12
Jusqu’à ce que finisse tout l’hiver tremblaient
les jambes du banc courtes et solides dans la cour.
Jusqu’à ce que finisse tout l’hiver
les nuques des enfants étaient toutes
une pente escarpée couverte de neige.
Imbécile comme un lapin de montagne,
perdant au genou un peu de sang
tu restais mort comme un mensonge.
Est arrivé le printemps
et une nouvelle fois le vent se levait venant de Hanryosoudo
et la mer essuyait le sang de ton genou mort en hiver.
Imbécile comme un lapin de montagne,
après la mort, tu allais à la mer
et tu devenais un regard souriant étendu
dans le soleil d’un jour éclatant.
13
Le printemps est parti
et sur l’herbe en plein vide
d’un trèfle à quatre feuilles,
de la mer des feuilles du chêne
l’été se remplissait peu à peu.
Toujours de là tôt dans le soir
tombaient lentement les rayons du soleil.
Il y avait une clôture d’orangers sauvages
et le ciel de l’ouest piqué par
des épines d’oranger sauvage
perdait du sang aux griffes de l’oiseau
de toute souffrance à mes flancs.