YI Sang



(traduit et présenté par Chang-kyum KIM )


    Né à Séoul en 1910, YI Sang (dont le véritable nom est KIM Hai-gyong) a achevé ses études à l’école d’architecture de technologique supérieure Kyongsong en 1929. Il a publié, dès 1931, dans la revue Chosun et l’architecture,  les poèmes « Une étrange réaction réversible  »  et « Le paysage des fragments ». YI Sang ainventé de nouvelles ressources poétiques : absence d’espacement,utilisation des termes géométriques, de chiffres etde diagrammes, recours à des caractères chinois conceptuels,etc. C’est pourquoi il est célèbre pour avoir «bouleversé» l’esthétique traditionnelle de la poésie et pour avoir créé une nouvelle poétique. On voit également en lui le poète qui, avec une intensité tout intérieure, montre la situation désespérée des intellectuels à l’époque de la colonisation japonaise.

          

L’homme moderne « éternel »


    « [...] du désespoir naît une technique, et sous l’effet de cette dernière, on est encore plus désespéré » dit YI Sang. Devenu aujourd’hui une sorte de mythe, il est un poète qui a su, par l’écriture, saisir et retravailler son double destin : la tuberculose et l’existence sous un régime fasciste. Tout le monde connaît YI Sang en Corée, même si l’on ne comprend pas vraiment ses poèmes. On l’aime et on se plaît à entendre des anecdotes sur sa vie, sur sa petite diablesse Geumhong, une prostituée, et sur tel personnage qui, dans sa nouvelle, L’aile, ne savait même pas distinguer l’adaline (un somnifère) de l’aspirine, comme si la légende sepoursuivait sans cesse. 
    Réputé comme étant le poète «le plus difficile», YI Sang (qui fut également romancier, essayiste, architecte et peintre) a fait l’objet de maintes études en Corée, et a été unanimement consacré comme «le génie » ou « l’homme moderne éternel ». Cela signifie que ses oeuvres, si modernes dans les années trente, n’ont pas fini d’apparaître comme problématiques et comme novatrices pour l’avenir. Un critique a dit qu’YI Sang avait plus de cinquante ans d’avance sur son temps. Cette idée d’«avance » serait discutable, mais il est vrai qu’on n’a pas encore d’autre YI Sang dans l’histoire de la littérature coréenne.
    Créer une « Grande excuse » est devenu donc une sorte d’obligation pour les oeuvres dans un pays divisé en deuxet en proie à de nombreux problèmes sociaux et politiques. Les intellectuels coréens sont des gens qui font fatalementdes «excuses» ; chaque intellectuel  préparesa propre excuse comme pour dire : «c’est tout ce que j’ai pufaire, je ne pouvais faire autrement, pardonnez-moi, je vous en prie..». Une grande symphonie tissée par toutes les excuses seraitla situation théâtrale et tragique de la culture coréenne.
    Nées du désespoir, mais soutenues par une «technique » singulière, les oeuvres d’YI Sang présentent sans doute une «Grande excuse». Marquées par une situation où il était impossible de vivre en tant qu’humain, elles ne se sont jamais départies de la vie du poète. Aujourd’hui, on le considère comme l’égal d’un Rimbaud, d’un Kafka, ou d’un Beckett, en trouvant chez lui une violence comparable, un même génie poétique dans la détresse.YI Sang ne serait pas un auteur local ou national, mais ouvert vers « autrui », même si ses oeuvres restent encore comme voilées dans la singularité même de la littérature coréenne.
 
 


                                                                      (Po&sie n°88, éditions Belin, 1999)