Poétique III (3.1)
 
                                                          Gakseonmi* du fossile
 

        On est habitué à entendre le propos : "si le zen est zen, ce n'est plus le zen". Quand on parle du zen, on l'a accepté traditionnellement et sans réfléchir. Depuis l'antiquité de la Chine et de la Corée (surtout l'époque Koryo) par des moines zen, et même à notre âge par le poète moine HAN Yong-oon qui fît la Déclaration d'Indépendance 3.1 contre la colonisation japonaise (1919), le zen n'était toujours pas le zen, si le zen était du zen. Nous constatons cette réalité, même dans la première page de son recueil très connu, Silence du bien-aimé : "si le zen est zen, ce n'est plus le zen". C'était le zen unique et absolu que personne ne peut aborder ordinairement. Paradoxalement parler, c'est le monde universel et agnostique, préétabli dans l'impossible et l'innommable.
        Mais je me demande si nous n'avons pas approché de l'ère où l'on peut dire : "si le zen est zen, c'est le zen". En observant un geste subjectif d'un poète coréen ou d'autres étrangers qui publient de leur vivant des recueils que l'on trouve dans le marché mondial du livre sous le titre "zen", ou bien en réfléchissant sur de nombreux réseaux internet évoquant le mandala et ces lignes innombrables, je ne peux pas ne pas penser que l'aujourd'hui est l'âge de zen de chacun (gak-seon-mi) et celui de son historicité qui se déclenche sans le savoir. Le zen ne serait donc pas un objet qui n'existe qu'en Asie comme la Chine ou la Corée. Autrement dit, c'est bien possible qu'il existe aussi en Europe, dans des pays qui sont plus démocratiques au niveau politique et économique ayant donc "aujourd'hui" beaucoup de réserves fécondes au niveau de la culture, qu'en Asie, par conséquent, on peut y donc trouver - pourquoi pas? - le " vrai zen " plus honnête, juste, beau et plus vertueux que celui asiatique. Ainsi ce ne serait plus la peine d'être arrogant sur le zen, en considérant que le zen n'existe qu'en Orient, même si Suzuki l'a introduit en Occident comme un produit exclusif asiatique.
        La formule très connue de Maurice Blanchot, l'auteur de l'Espace littéraire , "JE passe au IL" doit donc être modifié par "IL passe au JE". Autrement dit, je me demande s'il n'y avait pas d'historicité dans le zen même et celui-ci, n'était-il pas que l'enjeu d'un instant d'illumination individuelle dotée d'un vertige extrêmement éveillé? Comme "une fleur de nénuphar au milieu du feu" selon la formule ancienne du monde bouddhiste? Je me souviens maintenant du discours : "Seul la personne qui se bat à l'extrême peut comprendre le sens de la liberté". Alors, y a-t-il d'autres pour prouver que l'on est vivant sinon qu'on sent une grande douleur sur toute la peau de notre corps comme l'a dit YI Sang dans son 1er poème de la Perspective à vol de corneille : "tous les 13 enfants disent qu'ils ont peur"? Devant un pas vers un monde nouveau inconnu, une aventure, et devant l'hégémonie conservatrice du "pouvoir", comme on le retrouve dans la publicité de Macintosh qui fait déjà son moderne : "think different"... . Il n'y a pas de réponse nette pour le zen, mais il n'y a que son atmosphère-entourage dont le corps et la chair sont plutôt la réponse. Alors, comme les références qui nourrissent la ligne des lettres, la note " en bas " de page serait-elle plutôt la vraie réponse? "Maître, je me suis perdu dans la rue - ." "Quoi ? Mais non, imbécile, n'es-tu pas déjà dans la rue?". Cette conversation zen est déjà devenue clichée et elle a fini par laisser le "pourri zen".
        C'est une allusion qui propose de trouver un jeu zen de chacun (gak-seon-mi) devenant "nous tous-le sujet" qui n'est pas le plagiat. Dans le cas de l'art, lorsqu'on le traite dans la théorie de l'imitation, l'art doit être une imitation initiative, inventive et créative, et non pas comme esclave. Le Donghak qui a réunifié confucianisme, bouddhisme et christianisme, l'a bien montré il y a longtemps (à la fin de l'époque Chosun) sous l'expression "l'homme, c'est le ciel", mais aujourd'hui l'époque a changé, me semble-t-il, beaucoup plus vers la démocratie : "le je, c'est le ciel". C'est le jour où les lignes de chacun profilent leurs chants et participent à une grande symphonie qui émet une odeur floral infinie. Cependant il y a une chose regrettable depuis l'histoire "moderne" de la Corée jusqu'à nos jours : sommes-nous vraiment "indépendants"? La Corée et chacun de nous qui y vit, sommes-nous vraiment indépendants, même s'il y avait diverses cérémonies officielles qui triomphent "Vive l'Indépendance de la Corée" depuis la libération de la colonisation japonaise jusqu'aujourd'hui? La question se pose encore : est-ce qu'on a vraiment succédé à l'esprit de l'Indépendance et l'a-t-on vraiment vécu, ce qui est une autre expression de "l'intersubjectivité" basée sur l'idée d'un appel d'urgence, "exister et vivre ensemble" pour l'amour et la paix de toute l'humanité entière?
        J'ai proposé, dans ce journal, fin de l'année dernière, la "Poétique du talisman" ( Sans frontière PPP vers le vers) pour une issue à la poésie coréenne du 21e siècle. De nombreux lecteurs m'ont demandé une explication plus claire sur ce propos, par conséquent, maintenant j'aimerais bien y répondre tout en le développant : la "clef" de la culture coréenne du nouveau millenium est de retrouver le "visage figuré" qui est le "portrait Choyong de chacun de nous". Alors la question se pose véritablement de toute urgence : quel est "le visage figuré" et où est-il en tant que celui de chacun de nous? Mais pour cela il n'y a pas de réponse exacte, en revanche il n'y a que des réponses comme des lignes, des biens, des beaux de chacun (gak-ja-dab comme gak-seon-mi de gak-ja-seon), qui font en fait une "Grande voie des voix", chemin démocratique.
        Ainsi, au lieu de donner une réponse, je ne projetterais qu'un de mes poèmes "La marche", dans lequel j'ai retouché un seul mot pour la dernière finition de mon écriture il y a quelques jours au bout de 10 ans et plus de mon entrée dans la littérature coréenne, et ses vers 35, "un crayon qui marche comme le fossile". Très sincèrement pour ce matin 3.1 du nouveau millenium qui est si affairé comme une ouverture de ma bouche verrouillée au silence, ici sur cette, première ligne .
  

 

                                                                                                   <Journal Paris Jisung , le 1 mars 2000>



 
 
    * gak-seon-mi : écrits en coréen gakseonmi , ces trois mots collés signifient tout d'abord la ligne harmonieuse des jambes, mais chaque mot syllabique a aussi son propre sens :  1) le gak comporte au moins, ici dans le texte, les quatre sens : "l'angle", "l'illumination", "la jambe" et  l'adjectif , "chaque".  2) le seon, : "la ligne", "le bien" et  "le zen".
    3) le mi : "la beauté", "le beau" et le goût. Il y a un jeu de l'écriture sur cet attachement-détachement entre les mots concrets ou abstraits, et leur variation dans le contexte. 


 

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